Une lutte non-violente

Pendant la lutte, de 1971 à 1981

Non-violence, entrave et recours, fête et humour, organisation…

Les Paysans du Larzac ont fondé leur unité et la légitimité de leur lutte dans un serment solennel, le « Serment des 103 », qui fonde leur solidarité autour de la défense des exploitations agricoles. Prêté en 1972, ce serment est renouvelé en 1975.

C’est à la suite d’un jeûne de quinze jours de Lanza del Vasto (mai 1972) que les Paysans du Larzac font d’autre part le choix de l’action non-violente comme outil de leur résistance à l’extension du camp militaire. C’est le refus de la violence comme moyen d’action qui est le plus petit dénominateur commun. Ce qui n’empêche cependant pas de transgresser la légalité pour populariser la lutte ou construire. Les entraves au déroulement de la procédure d’expropriation sont ainsi aussi systématique que les recours aux procédures juridiques (destruction des dossiers de l’enquête parcellaire en 1975, recours jusqu’au Conseil d’État contre la déclaration d’ utilité publique en 1977).

La fête et l’humour sont également des moyens efficaces pour souder les gens, provoquer la solidarité extérieure et renforcer la détermination, tant individuelle que collective. L’organisation d’un réseau national de solidarité (environ cent cinquante « comités Larzac  » en 1975) a par ailleurs permis de démultiplier localement le soutien et les actions de sensibilisation. Tous les mois des délégués se réunissent sur le plateau.

La lutte s’est construite au jour le jour, en fonction des opportunités (et donc sans stratégie) , autour de deux axes : des actions en direction de l’opinion publique aux niveaux départemental (pour sensibiliser une population conservatrice et représentée essentiellement par l’Église catholique et le syndicat agricole FDSEA), national et international (pour populariser la lutte et susciter du soutien) et des actions de terrain pour ré-occuper le territoire convoité par l’armée.

Des actions en direction de l’opinion publique

La lutte du Larzac se caractérise notamment par une très grande imagination. Toutes les formes d’action possibles ont été imaginées et menées :

  • Des jeûnes (un jour à tour de rôle en mai 1972 ; trois jours à Rodez au début de la procédure d’expropriation en octobre 1978 ; six jours à Rodez lors de la venue de Valéry Giscard d’Estaing dans le département en novembre 1979),
  • Des marches et manifestations (en tracteur vers Rodez le 14 juillet 1972 ; en tracteur vers Paris début 1973 ; à pieds vers Paris en novembre 1978 ; très nombreuses manifestations à Millau tout au long du déroulement de la procédure d’expropriation, et en particulier la journée nationale de soutien en mars 1975 après l’attentat contre la maison d’une famille d’agriculteurs à la Blaquière),
  • Des rassemblements sur le Larzac (100.000 personnes en août 1973 avec le soutien des Paysans Travailleurs ; 100.000 personnes en août 1974 pour une Fête de la moisson en soutien au Tiers-monde affamé ; 50. 000 en août 1977 personnes dans le camp militaire avec une coordination des luttes locales pour « Vivre au pays »),
  • Des actions « spectaculaires » (en décembre 1972, 60 brebis broutent sous la Tour Eiffel ; en octobre 1979, 30 brebis investissent le Tribunal de Millau à l’occasion d’un procès pour renvoi de livret militaire ; en novembre 1980, 40 adultes et 30 enfants du Larzac campent quatre jours sous la Tout Eiffel avant d’être évacuées par la police , puis investissent une péniche sur la Seine),
    des actions de désobéissance civile pour provoquer la répression et amplifier le soutien (en 1972, 60 paysans renvoient leur livret militaire, ce qui incitera 3000 personnes à faire de même à raison de 10 nouveaux livrets renvoyés après chaque procès pour renvoi ; un appel au refus de 3% de l’impôt pour soutenir le développement agricole sur le plateau est lancé),
  • Un contact privilégié avec la presse (un souci permanent de « l’image » amène à porter beaucoup d’attention à l’accueil des journalistes, à refuser la polémique par presse interposée tout en gardant une constante dans l’affirmation des mêmes objectifs, et à créer le mensuel Gardarem lo Larzac à l’attention des sympathisants).

Des actions pour « occuper le terrain »

   

 

Ces actions sont essentiellement menées en lien avec la profession agricole, par des moyens légaux d’une part (création en 1973 d’ un Groupement Foncier Agricole pour acheter les terres mises en vente par des particuliers, puis de trois autres GFA qui totalisent bientôt 1.200 hectares de terres acquises contre l’ État ; réfection de ruines, de nombreux chemins de ferme, des raccordements en eau , pour faciliter l’installation de nouveaux agriculteurs ou habitants ; interconnexion de nombreuses fermes grâce à la mise en service « sauvage » d’un réseau téléphonique public en cours d’installation et abandonné sous pression de l’armée), par des moyens illégaux d’autre part (labours de terre appartenant à des « spéculateurs présumés » et à l’armée ; constructions de bergeries sans permis, dont celle spectaculaire de la Blaquière de 1973 à 1975, occupations de fermes acquises par l’armée pour y installer des agriculteurs ou des militants ; creusement d’une tranchée en travers de la RN 9 pour amener la canalisation d’eau à l’intérieur du périmètre d’extension ; très nombreuses actions de blocage de véhicules, de convois, de manœuvres militaires, à chaque fois qu’ils sont surpris en dehors du camp).
De très nombreuses actions sont menées dans l’illégalité dès lors que l’agrandissement du camp militaire a été déclaré et confirmé « d’utilité publique » par le Conseil d’État (1977).

La répression

La répression est utilisée par les Paysans du Larzac pour renforcer la sympathie de l’opinion publique. Les nombreux procès (qui ont donné lieu à des peines avec sursis, quelques fois des amendes pas toujours payées) pour renvois de livrets militaires, pour entrave à la circulation, pour construction illégale, ont été l’occasion de meetings, de manifestations de soutien aux inculpés, d’implication d’élus et de nouveaux actes de désobéissance civile.

Par exemple, le procès en flagrant délit à Millau, avec application de la loi « anti-casseurs » , consécutif à l’intrusion de 22 personnes du Larzac dans des locaux militaires du camp pour s’informer sur les acquisitions de terre en cours par l’armée (28 juin 76), est l’occasion d’une très grande mobilisation militante et syndicale. Les peines de prison ferme (1 à 3 mois) et de sursis (1 à 6 mois), reportées à cause de la sécheresse pour les agriculteurs, mais pas pour les objecteurs, sont ramenées à du sursis par la Cour d’appel de Montpellier (3 mois pour tout le monde).

La règle du consensus

L’organisation interne de la résistance a pris différentes formes : un bureau très formel au départ, des assemblées générales de plus en plus fréquentes, un bureau composé de délégués de « quartiers » (Larzac-Est, Ouest, Nord, Sud et la Cavalerie) selon les périodes. Ne pouvaient participer aux décisions que les « habitants » de la zone d’extension. Cette règle a pu être maintenue pendant les dix années de la résistance, et au-delà, à raison d’au moins une réunion par semaine.

La règle du « consensus » (des décisions prises après rapprochement des points de vue divergents) a prévalu pendant les dix années. Seules deux décisions (notamment à propos de procédures de négociation avec l’État en 1977) ont été prises après un vote des seuls agriculteurs. C’est cette pratique du consensus qui a permis de conserver la cohésion du groupe des paysans.

Les actions non-violentes de 1981 à aujourd’hui

 

Depuis 1981, le Larzac est resté fidèle à la pratique des actions « non-violentes » dans les différents luttes où il s’est engagé.

Dans la résistance à l’instauration d’une forme de quotas de production de lait de brebis, un procès est intenté et gagné par les « comités Roquefort » (futur SPLB-Syndicat des Producteurs de Lait de Brebis) contre la Confédération de Roquefort pour pratique de caisse noire.

Dans la lutte pour la reconnaissance du pluralisme syndical, la Confédération Paysanne-Aveyron (composée d’agriculteurs du Larzac et du reste du département) tente de s’imposer comme syndicat représentatif et de dénoncer les pratiques productivistes. A la différence des autres syndicats agricoles, la Confédération utilise des moyens plutôt « non-violents » , même s’ils peuvent aller jusqu’à la destruction symbolique de biens (en 1990, distribution gratuite à Rodez de viandes importées illégalement des pays de l’Est par une coopérative ; en 1991, blocage de l’aérodrome du Larzac avant l’atterrissage d’un ministre ; en 1995, interpellation d’un ministre de l’Agriculture à l’occasion d’un meeting politique à Millau ; en 1998, occupation illégale de terres pour lutter contre la concentration et installer de jeunes agriculteurs ; en 1999, pique-nique, durement réprimé, dans les jardins de la Préfecture pour protester contre la PAC).

Dans le soutien à la cause des indépendantistes Kanaks (à laquelle le Larzac se joint par l’intermédiaire de ses avocats, par ailleurs avocats du mouvement indépendantiste), plusieurs manifestations locales sont menées (« bougna » en 1985, accueil de leaders kanaks, inauguration d’un « terrain de Kanaky » avec construction d’une « cazelle » en 1991), plusieurs actions de formation à l’action non-violente sont organisées en Nouvelle-Calédonie par le Cun du Larzac et Larzac-Solidarités, à la demande du FLNKS et de l’Église Évangélique, une action de désobéissance civile (envoi du texte « J’accuse la justice de Nouméa ») est suivie par 3.000 personnes pour dénoncer le jugement inique de Nouméa qui a acquitté les assassins de 10 Kanaks à Hienghene (décembre 1984) .

Dans la résistance contre la guerre du Golfe (1990-1991), pendant les deux mois qui ont précédé les bombardements, des manifestations silencieuses sont organisées trois fois par semaine à Millau pour dénoncer le « deux poids, deux mesures » des Occidentaux dans leur agression de l’Irak et leur soutien à Israël.

Dans le soutien au peuple Maohi dans sa résistance contre la reprise des essais nucléaires en Polynésie (1995), une délégation du Larzac et de Millau se rend à Papeete et participe aux manifestations locales. Certains de ses membres embarquent sur des bateaux de Greenpeace, qui se rendent sur les lieux de l’explosion atomique. Des manifestations en soutien au peuple Maohi sont par ailleurs organisées à Millau (notamment un « die-in » sur la Place du Mandarous).

Dans la formation à l’action non-violente, le Cun du Larzac intervient au Liban (1990- 1991), au Tchad (1993), au Sénégal (1990-1991-1992) et en Algérie (1999-2000-2001).

Dans la lutte contre les OGM, les militants du Larzac participent activement à la destruction de stocks de semences transgéniques (maïs dans les locaux de Novartis à Agen, en 1998 ; riz dans les serres du CIRAD à Montpellier à l’occasion de l’accueil sur le plateau d’une caravane de paysans indiens en tournée en Europe, en 1999).

Dans la lutte contre la globalisation libérale et l’Organisation Mondiale du Commerce, le « démontage » du chantier du Mac Do de Millau (12 août 1999) est suivi d’une répression très forte (incarcération d’agriculteurs, libérés sous forte caution) et donne le coup d’envoi à un formidable mouvement de sensibilisation de l’opinion publique internationale. Le procès est l’occasion d’un grand rassemblement « citoyen » de 100 000 personnes à Millau (30 juin et 1er juillet 2000). qui n’empêche cependant pas la condamnation de José Bové à une peine de trois mois de prison ferme, qu’il effectue durant l’été 2002.
En novembre 1999, une délégation « Millau-Larzac » se rend à Seattle, où elle participe aux manifestations de blocage du sommet de l’OMC.
Depuis, une délégation larzacienne participe activement à la plupart des contre-sommets (Davos en janvier 2000 et janvier 2001, Bruxelles en juin 2000, Prague en septembre 2000, Nice en décembre 2000, Gênes en juillet 2001, Barcelone en juin 2002, Annemasse en mai 2003, Cancun en septembre 2003) et sommets (Forum Social mondial de Porto Alegre en janvier 2001, février 2002, janvier 2003, Forum Social Européen de Florence en novembre 2002 et de Paris en novembre 2003) de la société civile.

Notes : Voir aussi notre définition de la non-violence.

 





2018-01-30T13:50:58+00:00