L’habitant du causse a un rapport évident avec la pierre, omniprésente. Dans ce pays où l’épierrement des champs et la construction de murets précédaient et accompagnaient le travail de la terre, le paysan était aussi bâtisseur. Jusqu’au début du XXème siècle, le recours aux professionnels du bâtiment semble rare. Il était évidemment plus économique de construire soi-même (en général au printemps) quitte à faire appel à un maçon lorsque le mur menaçait de s’écrouler.
Architecture de l’eau
Si le sous-sol du Larzac est un vrai château d’eau pour les vallées environnantes, sa surface absorbe sans les retenir les pluies pourtant abondantes du printemps et de l’automne (moyenne d’un mètre d’eau par an). D’où la nécessité de constituer des réserves. L’eau qui ruisselle des toits est recueillie par des chéneaux de bois ou de pierre, et canalisée jusqu’à la citerne. Très souvent enterrée sous la souillarde ou la cuisine de la maison, la citerne peut être aussi extérieure, accolée au bâtiment. Elle est toujours composée d’une voûte soigneusement enduite à la chaux pour une meilleure étanchéité. Au-dessus, une niche dans le mur à l’intérieur, un puits couvert à l’extérieur, permettaient à la fois de puiser de l’eau et d’accéder à la citerne pour la nettoyer en période de sécheresse. Les citernes contiennent entre 100 et 300 hectolitres. Chaque ferme en possédait plusieurs, chacune ayant un usage propre : alimentation de la maison, de la bergerie, arrosage du potager, réserve en cas de sécheresse.
A Montredon, c’est un toit-collecteur qui recouvre une citerne extérieure, rare exemple sur le causse de « maison-citerne ».
La récupération d’eau par écoulement pour abreuver les troupeaux était aménagée dans les pâtures sous forme de « lavogne » : une cuvette dont le fond est en argile, les bords très larges en pente douce, régularisés et dallés. Il existe aussi plus rarement des lavognes naturelles, creusées dans des sols argileux.
Murets
Près des maisons, autour des jardins, le long des chemins, les murs, comme l’épaisse haie de buis, protégeaient les cultures de la voracité de troupeaux. On construisait des murets autour des « devèzes », vastes espaces réservés au pâturage, où les troupeaux pouvaient rester sans surveillance. Des murs bas délimitaient aussi les parcelles.
Caselles et abris
Abri pour le paysan ou le berger, la caselle est une petite construction de pierre sèche de plan circulaire, couverte d’une voûte en encorbellement. Elle fait souvent partie d’un mur d’enclos. La caselle est petite : on ne peut y tenir debout. Une pierre plate sert de siège et permet d’attendre un ciel plus clément. On trouve aussi des abris plus simples encore, construits en demi-cercles et tournant le dos à la pluie.
Jasses isolées
Quand les parcours étaient éloignés de la ferme, on construisait des bergeries (jasses) isolées. Elles sont souvent pourvues d’une citerne. Les fenêtres sont des meurtrières, très étroites, inaccessibles aux loups, nombreux sur le causse jusqu’au milieu du XIXe siècle.
Bâtiments modernes
Il existait autrefois un rapport étroit entre site et matériaux : chaque élément était tiré du sol à proximité du chantier. Aujourd’hui, économie oblige, les matériaux sont issus d’une fabrication industrielle uniformisée et sans « couleur locale ». Il existait autrefois un rapport entre le site et le plan. Aujourd’hui, l’échelle des bâtiments modernes est souvent sans rapport avec le bâti existant. Le tout au détriment du paysage. Mais d’autres démarches sont possibles, comme le montrent diverses réalisations sur le causse.
Par exemple, un hangar près du Caylar. Rien ne semble différencier à première vue ce bâtiment de ses voisins. Il semble avoir été construit à la même époque et de manière semblable. Certes, pour des raisons de coût et de délai, les murs ont été élevés en parpaings, mais ils ont été recouverts d’un placage de pierres de récupération, et des tuiles canals recouvrent la tôle ondulée. Il n’y a pas de rupture d’échelle entre cette nouvelle construction et le reste des bâtiments, les pentes du toit sont les mêmes, et les pierres semblent avoir été montées par le même maçon. Mais cette construction a nécessité de nombreuses heures de travail. et un surcoût considérable.
La bergerie « sentimentale » de La Blaquière
La bergerie de La Blaquière est avant tout le monument-symbole de la lutte contre l’extension du camp militaire. Construction « sauvage » (sans permis), ouvre de militants (de 1973 à 1976), sa conception architecturale n’en est pas moins respectueuse de la tradition (toiture posée sur des arcs de voute). Bergerie, salle de traite, grange et hangar s’allongent sur un plan longitudinal simple. L’ensemble est entièrement construit de murs de pierres et couvert de tuiles canals. Les pierres ont aujourd’hui pris la teinte de celles des maisons voisines, et l’ensemble s’intègre au hameau. Cette bergerie est parfaitement adaptée à un élevage moderne. Exemplaire par la qualité des détails et des finitions, on est bien loin ici du bâtiment agricole moderne de type courant. Mais cette réalisation n’a été possible que grâce à la volonté farouche qui a animé la lutte, et au soutien qu’elle a rencontré de toutes parts, soutien qui restera longtemps encore visible sur les pierres gravées des murs.
Il s’agit certes ici d’exceptions à une règle trop commune. Mais quelle attitude avoir face à celle-ci ? La rejeter, sous couvert de sauvegarde d’un environnement, équivaut à condamner un pays à ne plus être qu’un musée et à figer ses habitants dans une situation sans avenir.
Notes : Extraits de la plaquette « Maisons du Larzac », éditée par l’Ecomusée du Larzac (texte de Nicole Andrieu et Jean Milleville), disponible auprès de l’APAL.
Habitats caussenards
L’habitant du causse a un rapport évident avec la pierre, omniprésente. Dans ce pays où l’épierrement des champs et la construction de murets précédaient et accompagnaient le travail de la terre, le paysan était aussi bâtisseur. Jusqu’au début du XXème siècle, le recours aux professionnels du bâtiment semble rare. Il était évidemment plus économique de construire soi-même (en général au printemps) quitte à faire appel à un maçon lorsque le mur menaçait de s’écrouler.
Des maisons bâties comme des chapelles romanes
L’arc et la voûte sont les éléments les plus caractéristiques et les plus spectaculaires de l’architecture caussenarde, liés à une faible occupation de l’espace au sol et une disposition en hauteur. Dans les vallées, si le rez-de-chaussée était toujours voûté, les étages ne l’étaient que très rarement. Sur le causse, par contre, on trouve souvent deux, voire trois, voûtes superposées. Ce style est employé pour l’ensemble des bâtiments (maison, bergerie, granges et annexes), accompagné de tout un répertoire de formes uniques et variées. La maison caussenarde obéit à un schéma simple et général : elle superpose citerne, bergerie, habitation et grenier sous le même toit.
Au rez-de-chaussée, la voûte de la bergerie est en plein-cintre, parfois surbaissée pour agrandir le volume utile. Elle isole l’étage des vapeurs d’amoniaque que dégage le troupeau. Elle permet par ailleurs de maintenir un certain équilibre thermique face aux importantes variations climatiques. La bergerie et sa voûte constituent ainsi un « matelas » isolant appréciable pour l’habitation, dans une construction sans fondations, reposant directement sur le sol. Elle se présente sous la forme d’un long tunnel voûté, éclairé par d’étroites ouvertures verticales.
Au-dessus de la bergerie, une voûte en ogive couvre l’habitation et supporte la toiture. Cette forme verticale d’ogive épouse au plus près les pentes du toit et offre un volume plus facilement aménageable. L’intersection des deux voûtes, sur un espace carré, produit une voûte d’arêtes, système appréciable car reposant sur quatre points d’appui, et non sur des murs continus. On peut donc libérer de grandes ouvertures, économiser des pierres et gagner de l’espace. Ces voûtes sont presque indestructibles, même quand leur couverture a disparu.
On accède à l’habitation par un escalier extérieur et un perron, portés par la voûte d’entrée de la bergerie. Ce perron (balet), souvent coiffé d’un toit, est plus qu’un simple passage : on s’y installe les soirs d’été pour divers petits travaux domestiques ou artisanaux. On entre directement dans la cuisine, véritable « salle de séjour » de la famille. La cheminée est monumentale, occupant généralement tout un mur. Une niche évidée dans un mur contient l’évier de pierre, toujours éclairée par une petite fenêtre. Selon les cas, une ou deux chambres font suite à la cuisine.
La toiture est couverte de lauzes, plaquettes calcaires taillées en écailles, de 2 à 5 cm d’épaisseur, 30 à 40 cm de long, 20 à 25 cm de large. Préparées au sol, elles sont posées en rangs horizontaux et calées avec de la terre et de la pierraille. Les lauzes de bordure sont les plus larges, maçonnées au faîte du mur. Puis chaque rangée vient recouvrir aux deux-tiers la rangée inférieure. Sur le causse, l’emploi de la voûte de pierre permet de supporter le poids d’une telle toiture (les murs porteurs sont larges, environ 1 mètre) et, l’étanchéité de la lauze étant toute relative, de garantir une meilleure isolation.
En aucun cas, l’habitat ne saurait empiéter sur les rares et précieuses terres cultivables. Les maisons sont construites le plus souvent sur les terres arides, ou même directement sur le rocher, en bordure des terres labourables. D’autre part, le climat rude et la faiblesse des protections naturelles contre les intempéries, ont contraint les hommes à profiter de la moindre cuvette pour construire la ferme, qui se ramasse sur elle-même en tournant le dos au nord pour s’ouvrir largement vers le sud et l’est. Les différents bâtiments sont répartis en U autour d’une cour qu’ils abritent ainsi du vent.
Si ce portrait correspond à une sorte de schéma-type de la maison caussenarde, il ne peut rendre compte de l’extrême diversité de cette architecture pourtant si contraignante. Le plus surprenant est sans doute que face à des problèmes aussi redoutables que l’équilibre des voûtes, et avec des moyens aussi rudimentaires, chaque constructeur ait marqué sa maison de sa personnalité et l’ait imprégné d’un sens inné de l’harmonie.
Si, contrairement à une idée répandue, les bâtiments ne sont presque jamais fortifiés, ils n’en apparaissent pas moins comme de fortes structures défensives. Construits tout de pierre, ils atteignent à un rare niveau de mimétisme, transposant en formes architecturales les formes naturelles inhérentes au causse.
Aujourd’hui toutes ces maisons ont été aménagées et modernisées pour les rendre plus conformes aux exigences actuelles de confort (chauffage central, équipements sanitaires, agrandissement des ouvertures ).
Habitats modernes et alternatifs
Il arrive aussi souvent que ces vieilles bâtisses, fermes ou habitations ne suffisent plus aux normes du confort actuel. Difficiles à isoler et à chauffer, coûteuses du point de vue de l’entretien et mal éclairées, certains leur préfèrent quelquefois le confort lisse des constructions modernes, d’autant que ces nouvelles constructions permettent aussi aux jeunes générations de trouver leur espace propre au sein d’une même explotation agricole.
D’autres ont fait le pari de l’autoconstruction et d’un habitat aussi économique qu’écologique. Pour exemple les maisons de paille dont la première a fait l’objet d’un chantier collectif au CUN en 1979. Les ballots de paille sont disposés à l’intérieur d’une ossature en bois et reçoivent un enduit extérieur et intérieur. Il forment une isolation efficace et à bas prix. Ce type de construction n’est plus tout à fait expérimental puisque d’autres maisons de paille ont vu le jour depuis sur le Larzac.
Le CUN avait investi aussi dans une éolienne qui fonctionne toujours actuellement et qui alimente le gîte en énergie électrique. Ce matériel arrive néanmoins en fin de vie. Récemment, des installations de chauffage solaire ont été mises en place chez des partculiers avec succès. Si l’avant garde de la construction alternative a essuyé quelques plâtres, on peut dire que ces expériences ont été nécessaires, les améliorations techniques actuelles rémédiant aux défauts de jeunesse des premières installations.
Villages fortifiés, hameaux et fermes isolées
Jusqu’au XVII e siècle, l’habitat caussenard est resté soumis à des principes venus du Moyen-Âge :
Concentration en villages fortifiés par l’ordre des Hospitaliers (La Couvertoirade, St-Eulalie, La Cavalerie.) et en hameaux (juxtaposition de petites unités d’exploitation de plan et d’organisation similaires, avec citernes, aires à battre et four à pain, le plus souvent communautaires). Dès la fin du XVI e siècle, mais surtout au XVII e , le Larzac connaît une première rupture de son système traditionnel agricole. Le transport par roulage et le développement d’activités pré-industrielles font du Larzac en carrefour routier important et donnent une dimension nouvelle à son économie. C’est à cette époque que la ferme isolée, telle que nous la connaissons encore aujourd’hui, commence à apparaître. Mais rien ne distingue ce nouveau lieu d’exploitation de l’ancienne ferme de village, si ce n’est l’adjonction des équipements habituellement communs (four, aire, citerne), indispensables dans la situation d’autarcie de ces nouvelles installations. |
Jusqu’au XVII e siècle, l’habitat caussenard est resté soumis à des principes venus du Moyen-Âge : concentration en villages fortifiés par l’ordre des Hospitaliers (La Couvertoirade, St-Eulalie, La Cavalerie.) et en hameaux (juxtaposition de petites unités d’exploitation de plan et d’organisation similaires, avec citernes, aires à battre et four à pain, le plus souvent communautaires).
Dès la fin du XVI e siècle, mais surtout au XVII e , le Larzac connaît une première rupture de son système traditionnel agricole. Le transport par roulage et le développement d’activités pré-industrielles font du Larzac en carrefour routier important et donnent une dimension nouvelle à son économie. C’est à cette époque que la ferme isolée, telle que nous la connaissons encore aujourd’hui, commence à apparaître. Mais rien ne distingue ce nouveau lieu d’exploitation de l’ancienne ferme de village, si ce n’est l’adjonction des équipements habituellement communs (four, aire, citerne), indispensables dans la situation d’autarcie de ces nouvelles installations.
Grottes aménagées et habitations troglodytes
On trouve quelques grottes aménagées en bergerie (Le Sot), en cave (Beaumescure) ou en habitation (Clapade). Il existe quelques habitations troglodytes aménagées contre une paroi rocheuse (Les Beaumes).
Notes :
Extraits de la plaquette « Maisons du Larzac », éditée par l’Ecomusée du Larzac (texte de Nicole Andrieu et Jean Milleville), disponible auprès de l’APAL. Photographies de cette page : © Escappade.com