Un monde rural précurseur

 

De tous temps, le Larzac a eu une vocation pastorale. Les conditions géologiques et climatiques du plateau ont favorisé la prédominance de l’élevage de la brebis laitière (de race « Larzac », puis « Lacaune »), une prédominance accentuée, depuis le début du XIXe siècle, par la proximité de l’industrie fromagère de Roquefort .

Avant la lutte contre l’extension du camp

Dans les années 60, le Larzac vit une période de revitalisation : si le téléphone reste encore rare (il n’y a que deux postes téléphoniques publics, un à la ferme de l’Hôpital, l’autre à St-Sauveur et ce, de 1952 à 1982 !), l’électricité arrive dans les fermes isolées du nord du plateau à partir de 1960. A la même époque, les routes communales commencent à être goudronnées.

Le camp militaire de La Cavalerie, créé en 1902, divise le Larzac agricole en trois zones : la zone Sud, avec des petites et moyennes exploitations ; la zone Centre (autour du village de La Cavalerie) avec des moyennes et grandes exploitations qui se sont développées sur de bonnes terres ; et la zone Nord.

Le Larzac est déclaré « zone d’accueil ». Progressivement abandonnés à la suite des deux guerres qui ont saigné les campagnes françaises, des milliers d’hectares sont disponibles, sans nécessité de remembrement. Ils attirent des jeunes agriculteurs… et des spéculateurs fonciers, bien informés sur les éventuels projets de l’armée.

Arrivent ainsi sur le Larzac de nouveaux agriculteurs, qui se regroupent en GAEC (Groupement agricole d’exploitation en commun) et créent de grosses exploitations (les Baumes-Jassenove, le Devez Nouvel-Boissans, Saint-Michel, l’Hôpital du Larzac). C’est à cette même époque que l’industrie fromagère de Roquefort incite à la productivité et à la sélection des troupeaux de brebis. La modernité de ces exploitations servira d’argument pour modifier partiellement le périmètre initialement prévu pour l’extension du camp. Tous les agriculteurs natifs du Larzac (surnommés plus tard les « purs porcs ») se connaissent à travers le syndicat majoritaire (FDSEA) et les structures d’Eglise (CMR, JA). Les agriculteurs nouvellement installés (surnommés les « pionniers ») se connaissent peu, voire se méfient les uns des autres. Dans le même temps s’installent des artistes (Brouzes, La Couvertoirade). C’est l’annonce, en 1971, du projet d’extension du camp militaire de La Cavalerie qui va amener toute cette population à se rencontrer… et résister.

Pendant la lutte

La lutte du Larzac (1971-1981) s’est déroulée pendant cette phase de forte expansion économique de la région. Celle-ci permet, malgré le temps consacré à la lutte, une amélioration constante du niveau de vie des agriculteurs : augmentation des surfaces cultivables, augmentation de la taille des troupeaux, de la quantité de lait produite, donc des revenus… La mise en valeur d’exploitations modernes sert d’argument politique pour démontrer le caractère irrationnel de ce projet d’extension.

Le projet d’extension, déclaré d’utilité publique en 1972, provoque un blocage administratif qui tarit les investissements structurels de l’Etat, interdit les toutes nouvelles constructions et tous aménagements du territoire (routes, eau, électricité, téléphone, école). La créativité des paysans et du mouvement de soutien permet de passer outre, avec la constructions de bergerie sans permis (La Blaquière, Cavaliès, Potensac) et le soutien à l’installation de nouveaux agriculteurs dans des zones peu accessibles par la réfection collective de chemins et de bâtiments (Montredon, les Homs, Cavaliès). Tout cela grâce au soutien financier et au travail bénévole de très nombreux militants. La création des Groupements Fonciers Agricoles (GFA) permet de maintenir ou de renforcer des exploitations existantes. La création d’un groupe vétérinaire (par « Larzac-Université » en 1976) apporte un soutien à l’amélioration de la santé des troupeaux !

 

La lutte du Larzac et la nécessité d’occuper le terrain, attirent des « néo-ruraux », appelés « squatters ». Il s’agit soit d’installés de manière illégale sur des fermes acquises par l’armée (Les Truels, Montredon, Cavaliès) ou gelées par la SAFER (Lamayou), soit de nouveaux résidents qui créent des structures d’accueil (Larzac-Université, le Cun), soit d’autres « néo-ruraux » qui s’installent en renforcement d’exploitations existantes (le Devez-Nouvel, l’Hôpital, Saint-Sauveur) ou sur des fermes achetées par les GFA (Les Homs, Costeraste). Dans le même temps s’installent des artisans (Saint-Sauveur, Les Mares) et des artistes.

Cet afflux de population permet une diversification agricole : création de nouveaux troupeaux ovins-viande (les Beaumes, Montredon), production de « pérail » (les Truels), apparition de troupeaux de chèvres avec production de fromage (Montredon, les Homs) et d’un rûcher (les Aussedats), ouverture d’une ferme-auberge (Jassenove). Et, dès 1973, la création d’une école primaire, exemple unique en milieu rural à l’époque.

Après la lutte

Dès la fin de la lutte par abandon du projet d’extension du camp par l’Etat (1981), apparaît une phase transitoire. En effet, les terres acquises par les Domaines au profit du Ministère de la Défense, et à nouveau disponibles, n’ont pas d’affectation précise. Il faudra une rude bataille juridique pour créer un cadre de gestion pour les 6.000 hectares de terre et les bâtiments acquis à l’amiable (entre 1972 et 1978) ou par expropriation (entre 1978 et 1980) par les Domaines. Cette bataille débouche, en 1985, sur la création de la Société Civile des Terres du Larzac (SCTL), à qui les acquisitions de l’Etat sur le Larzac vont être transférées, via le Ministère de l’Agriculture, sous la forme d’un bail emphythéotique de soixante ans, renouvelable.

Mais dans l’urgence de prouver que le Larzac gagné doit rester agricole, les Paysans installent immédiatement, ou confortent définitivement, de jeunes agriculteurs sur les terres « de l’armée » (le Pinel, le Sot, Clapade, le Cun, la Salvetat, Cap d’Ase, Saint-Martin, Combebren, les Truels, le Tournet, Cavaliès, Montredon).
Il est notable qu’à cette époque, pas un seul Aveyronnais ne pose sa candidature pour s’installer sur ces terres… C’est la SAFALT (Société d’Aménagement Foncier pour l’Aveyron, le Lot, et le Tarn) qui « couvre » juridiquement ces installations. L’APAL, devenue Association pour l’Aménagement du Larzac, sert de « banque relais », car le Crédit Agricole ne peut légalement leur faire des prêts. D’autres exploitations sont renforcées grâce à une opération de « partage » de terres entre voisins (les Aussedats).

A partir de la seconde moitié des années 80, l’industrie de Roquefort, qui croule sous la surproduction de lait, veut instaurer une maîtrise de la production, avec comme référence les années de production des années 83-84-85. On distingue trois prix de lait, à partir d’une quantité maximum attribuée à chaque exploitation : un prix pour la fabrication du roquefort, un prix pour des produits de diversification, un prix pour la poudre de lait qui sert à l’alimentation artificielle des agneaux.
Ce système de quotas provoque une vive réaction des éleveurs dans tout le bassin de Roquefort. Sur le Larzac, il remet en cause l’avenir des nouvelles exploitations, qui en sont au tout début de leur développement avec des productions très basses.
Les « comités Roquefort » (comités de producteurs de lait, qui veulent négocier l’application de ce système de quotas) vont se développer à partir de 1986. En 1990, ils se transforment en « Syndicat des producteurs de lait de brebis » (SPLB) avec, à terme, le droit de siéger au Conseil d’Administration de la Confédération de Roquefort (collège de gestion composé des industriels et des producteurs), à côté du plus traditionnel « Syndicat des Éleveurs de Brebis » (SEB)

Une remise en cause du système productiviste, peu contesté pendant la lutte, facilite le développement de nouvelles activés agricoles plus artisanales (engraissement de canards à la Salvetat, production de peaux lainées à Clapade, de plantes médicinales et apéritives aux Homs, élevage de poulets au Sot, de porcs à Saint-Sauveur, de veaux sous la mère à Jassenove et à Montredon, production de tomes de brebis à Montredon et aux Truels). Et la création d’importants troupeaux ovins-viande vont nécessiter une réorganisation des structures existantes. De nouveaux GAEC (Groupements Agricoles d’Exploitation en Commun) apparaissent, ainsi que des CUMA (Coopératives d’Utilisation de Matériel Agricole), un GIE (Groupement d’Intérêts Economiques) doté d’une salle de découpe à Millau pour vendre la viande sur les marchés, une coopérative fromagère (les Bergers du Larzac, à la Cavalerie) permettant à ceux qui ne peuvent pas traire pour Roquefort de se développer néanmoins, une association des « produits fermiers », une salle de vente des produits fermiers et artisanaux (La Jasse-Maison du Larzac). Toutes ces nouvelles structures constituent une partie du nouveau tissu économique d’une zone autrefois menacée.

« Larzac-Université » se transforme en « Centre d’Initiative Rurale », antenne locale de la FDCIVAM (Fédération Départementale des Centre d’Initiatives pour la Valorisation et l’Aménagement du Milieu rural)). Quand au groupe vétérinaire issu de « Larzac-Université », il devient l’AVEM (Association Vétérinaire des Éleveurs du Millavois).

Dans le domaine de la formation, l’AFOCG (Association de Formation à la Comptabilité et à la Gesion) apporte un soutien en gestion pour les jeunes exploitations. Quant au Cun, il poursuit ses activités dans le domaine de la gestion des conflits et des énergies renouvelables.

Cette période de « normalisation » juridique permet de renouer avec les investissements de l’Etat et des collectivités territoriales, malgré l’attitude très « frileuse » des chambres consulaires. La réfection des routes est entreprise (pourtant, en 2003, toutes ne sont pas encore goudronnées, comme celles de Clapade et de Combebren), le téléphone (1983) et l’électricité (1985) sont enfin branchés, l’adduction d’eau (1991) est effectuée (après une tentative de création de forages pour capter l’eau de nappes phréatiques en 1985). Les dotations aux Jeunes Agriculteurs (DJA) et l’accès aux prêts bonifiés sont désormais possibles.

L’introduction des clôtures électriques (par manque de bergers), puis les subventions pour l’installation de clôtures permanentes pour les parcs, provoquent de nouvelles formes de conduite des troupeaux et d’organisation du travail.

Dans le domaine de l’environnement, des subventions européennes facilitent la réfection des toitures en lauze (Montredon, la Blaquière), la création de « passages canadiens », de points d’eau, la mise en valeur des landes à orchidées (Saint-Martin).

Cette période connaît encore l’arrivée de nouveaux artisans (couvreur aux Mares, plombier-électricien à Saint-Sauveur) et d’artisans d’art (potiers à Saint-Sauveur, à Cap d’Ase, à Egalières). L’accueil touristique se développe par aileurs, avec l’aménagement aux normes de gîtes d’étapes et de groupe (Montredon, le Cun, la Salvetat, la Couvertoirade), la création de gîtes ruraux (le Mas Nau, Saint-Sauveur, le Devez-Nouvel, le Camper, Montredon, Brunas) et d’une activité estivale de restauration à La Jasse-Maison du Larzac. Des circuits de randonnée sont améliorés, ou créés à partir des gîtes d’étape, regroupés en l’association « Cogîtes ».

Dans le domaine syndical, le quasi-monopole de la FDSEA (Fédération Départementale des Syndicats d’Exploitants Agricoles) et du CDJA (Comité Départemental des Jeunes Agriculteurs), a déjà été mis à mal pendant la lutte du Larzac, soutenue par les « Paysans Travailleurs » (fondés par Bernard Lambert). La résistance à ce monopole se concrétise, en avril 1987, par la création d’une section aveyronnaise de la « Confédération Paysanne », créée en 1981 et héritière des « Paysans Travailleurs ».

Aujourd’hui

Alors qu’il ne semble plus possible de créer de nouvelles installations agricoles sur le Larzac, sauf en renforcement d’exploitations déjà en activité (GAEC de Saint-Sauveur, le Camper) ou en diversification d’activité (huiles essentielles et atelier de poterie à Eygalière), on assiste encore à l’arrivée de quelques artisans (bois tourné aux Baumes et chapellerie à la Blaquière) ou à la création de petites entreprises (pose de clôtures).

Les subventions versées pour l’installation d’équipements en énergies renouvelables, facilitent l’apparition locale de capteurs solaires pour l’eau chaude sanitaire. Mais on aurait pu s’attendre à ce que celles-ci prennent un essor plus important sur le Larzac. L’éolienne du Cun (installée depuis 1991) n’a pas encore fait d’émules, malgré un projet de ferme éolienne qui a divisé la population locale. Pourtant, des tentatives d’exploiter l’énergie du vent avaient vu le jour pendant la lutte (les Homs, Saint-Martin).

Demain

Le développement économique du plateau est dorénavant limité par l’absence de logements disponibles. La création de nouveaux logements se heurte, entre autres, à la politique de certaines communes, qui refusent de voir les hameaux grandir et les fermes isolées se restaurer par crainte des nouvelles charges à assumer.

La Parc Régional des Grands Causses va dorénavant gérer la politique du « contrat de pays du Millavois » (quatre « contrats de pays » en Aveyron) par lequel vont passer toutes les subventions européennes. La labélisation par le Parc de produits locaux en facilitera la publicité.





2018-01-28T17:58:52+00:00